Nocturnes de l’Économie 2022 – Par Pierre Chaudron et Océane Vernerey

Pierre Chaudron et Océane Vernerey reviennent sur leur participation aux Nocturnes de l’Économie 2022 : “Les défis économiques du prochain quinquennat” à Paris le 9 mars 2022

L’innovation, fruit de la croissance de demain ?

                Comme l’a dit Gary Hamel, auteur à succès encensé par le Wall Street Journal : « L’innovation est d’une importance capitale. C’est la seule façon de rester dans l’air du temps, de garantir la fidélité des clients à long terme et d’être performant dans un contexte économique morose » (Forbes, 2012). Aujourd’hui, plus que jamais, l’innovation est donc un impératif pour créer de la valeur sur un marché globalisé et concurrentiel.

L’innovation et la modification de l’économie

                Un exemple classique d’innovation est l’invention de la machine à vapeur au XVIIIe siècle, qui a permis la production en série dans les usines et a révolutionnée le transport avec les chemins de fer. Plus récemment, les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont transformé les modes de production des entreprises et les circuits de vente des biens et services, tout en ouvrant la voie à de nouveaux marchés et modèles d’activité.

                Le manuel d’Oslo1 nous informe aussi sur le rôle important de l’innovation organisationnelle, nous prenons l’exemple très récente du télétravail. En effet, la crise sanitaire s’est révélée pour beaucoup des acteurs professionnels être le point de départ d’une série d’innovation, qu’elles soient managériales, organisationnelles ou économiques. Les temps de rencontres et d’échanges se sont dématérialisés du jour au lendemain. La visioconférence et le téléphone ont été les principaux outils, à la fois pour les temps de travail et pour les échanges informels.

                Cela vaut-il pour chaque crise ? La société évolue et l’avenir est incertain. Quel rôle doivent jouer les politiques pour s’adapter au mieux à l’économie de demain ? L’innovation est-elle toujours bénéfique pour la croissance ? Comment inciter aujourd’hui les entreprises à innover ? La réponse à ces questions demanderait un travail bien plus approfondi, nous allons seulement tenter de résumer les mécanismes d’innovation et le rôle de la société actuelle.

                En effet la France a perdu son leadership technologique dans la plupart des grands secteurs industriels, à l’exception du nucléaire et de l’aéronautique, et c’est en investissant massivement et intelligemment dans l’innovation à toutes ses étapes, que nous réussirons à reconquérir la maîtrise de nos chaînes de valeur.

Concurrence – Innovation – Croissance

                L’un des principaux bienfaits de l’innovation est sa contribution à la croissance économique. Pour présenter les choses simplement, l’innovation peut entraîner une hausse de la productivité, autrement dit, une augmentation de la production avec les mêmes intrants. Une meilleure productivité se traduit par une progression de la production des biens et des services, et donc in fine la croissance de l’économie.

                Comment inciter les entreprises à innover ? L’objectif économique principal d’une entreprise est de s’épanouir financièrement et de prospérer. Elle sera donc incitée à produire un effort d’innovation seulement si elle espère augmenter ses rentes. Pour augmenter ses rentes, l’entreprise à deux possibilités : augmenter sa quantité de production ou augmenter ses prix.  Par conséquent, l’entreprise doit éliminer ses concurrents afin d’agrandir sa part de marché et de se trouver en situation de monopole.

                Ce phénomène fait référence à la théorie de la destruction créatrice de Joseph Schumpeter (1942). Cette théorie – ni keynésienne, ni néoclassique, a bousculée la pensée économique majoritaire de l’époque. Plus précisément, la destruction créatrice est définie par le fait que les nouvelles innovations remplacent les anciennes, donc les nouvelles entreprises remplacent les anciennes. Par conséquent, Schumpeter était assez pessimiste sur le bien fait du capitalisme puisque les premiers innovateurs vont se transformer en terrain acquis qui, par la suite, vont utiliser leurs rentes afin de faire barrage aux nouvelles innovations. C’est d’ailleurs ce qui est arrivée aux Etats-Unis après la révolution des technologies de l’information. Cette révolution des TIC a permis à de grandes entreprises de prospérer. Cela a d’abord été un facteur de grande croissance. Cependant, par la suite, ces grandes entreprises ont pu sans limite devenir hégémonique et on inhiber l’innovation des autres. C’est la raison pour laquelle, aux Etats-Unis, depuis les années 2000 nous observons un déclin, puisque les institutions n’étaient pas adaptées à cette révolution des TIC. Il faut donc modifier et améliorer la politique de concurrence aux Etats-Unis.

Le rôle des institutions et des économistes

                La destruction créatrice n’est pas un processus dont les effets sont automatiquement positifs. Schumpeter lui-même était pessimiste. Il pensait que les premiers innovateurs se transformeraient progressivement en gros conglomérats qui s’opposeraient à de nouvelles innovations. Vient alors le rôle des institutions, et de la société. Philippe Aghion économiste et professeur au collège de France tente de surmonter le pessimisme de Schumpeter et explique qu’il y a différent levier qui peuvent conjurer la prédiction de Schumpeter. D’après lui : « Marché, Etat, société civile, le triangle d’or pour une croissance forte, verte et inclusive ».

                L’Etat est déjà présent depuis longtemps et joue un rôle important. En effet, toute une série de mesure a été mis en place ces dernières décennie pour favoriser l’innovation tel que capturer les brevets, les rentes, etc. L’entreprise, comme nous l’avons vu ci-dessus est le principal acteur puisqu’elle innove. Un troisième élément doit intervenir, la société civile, qui joue un rôle très important. En cas de collusion entre l’État et les entreprises existantes pour empêcher de nouveaux entrants : la société civile, c’est-à-dire le mouvement associatif, les syndicats, et les médias sont là pour dénoncer ces connivences. Au total, entreprises, État et société civile forment un triangle magique pour un capitalisme qui génère de l’innovation mais de façon plus verte et plus inclusive. Ainsi, le rôle des économistes est de vulgariser ces travaux de recherche afin d’informer le grand public. Qui, par la suite, pourra continuer de jouer son rôle de « pression » sur les institutions.

                La récente crise du Covid-19 a entrainé un confinement sans précédent de l’économie mondiale plongeant la croissance économique comme jamais en 2020, nous a fait prendre conscience des problèmes que nous avions déjà et que nous ne voulions pas traiter, en particulier notre déficit d’innovation. Il est primordial de relancer l’innovation mais aussi d’assurer sa diffusion et pour cela, les politiques publiques, les entreprises et la société d’aujourd’hui ont tous un rôle à jouer.

1 – Le Manuel d’Oslo fait partie d’une série de manuels évolutifs que l’OCDE a élaborés (certains en coopération avec Eurostat) et qui sont consacrés à la mesure et à l’interprétation des données ayant trait à la science, la technologie et l’innovation.