Pierre Chaudron revient sur sa participation aux Journées de l’Économie 2021 : “Faire des utopies une opportunité” à Lyon, du 3 au 5 novembre 2021
L’innovation au cœur de la transition environnementale ?
Le XXIème siècle s’annonce comme celui d’une transition environnementale (à la fois écologique et énergétique) sans équivoque afin d’assurer la pérennité et le bien-être des générations futures. Le financement des investissements en R&D, et plus largement de l’innovation des entreprises au service de cette transition bas carbone, peut toutefois se heurter à un certain nombre de difficultés, ce qui en fait un défi particulièrement complexe à relever.
À cet égard, les chiffres montrent que la majorité des investissements en R&D sont à l’initiative du secteur privé, dont les dépenses (33,9 milliards d’euros) étaient largement supérieures à celles du secteur public (20 milliards d’euros) en 2018 (INSEE, MESRI et SIES).
Sociétés innovantes selon le secteur d’activité (hors transports) entre 2016 et 2018
Source : INSEE (enquête CIS)
Les entreprises du secteur industriel semblent avoir eu la plus forte propension à innover entre 2016 et 2018 (56% d’entre elles ayant décidé d’innover sur cette période), suivies par les entreprises du secteur des services marchands (43%) et du commerce (35%), contrastant avec le secteur de la construction où les innovations se font beaucoup plus rares (25%). Tous secteurs confondus, plus de quatre entreprises sur dix peuvent être considérées comme innovantes au regard de la dernière enquête CIS de l’INSEE.
Demandes de brevets entre 2011 et 2020
Source : INSEE et INPI (mars 2021)
Les demandes de brevets émanant de personnes morales sont restées relativement constantes (autour de 14 000) entre 2011 et 2019, avant de connaître une diminution en 2020 (pour atteindre 12 100). Ce constat a priori contre-intuitif, à savoir une diminution des demandes de brevets malgré une augmentation des dépenses de R&D, peut trouver différentes explications :
- Les entreprises les moins performantes sont sorties du marché ;
- Les entreprises de grande taille décident d’innover afin d’exporter à l’international ;
- Les anticipations pessimistes des entrepreneurs les incitent à repousser leurs décisions d’investissement malgré des taux d’intérêt historiquement bas ;
- Le tissu productif français est majoritairement composé de TPE-PME.
Le rôle des pouvoirs publics consiste alors en une réorientation des arbitrages des entreprises les plus performantes (capables d’investir en R&D) vers des innovations favorisant la transition environnementale. Cette transition bas carbone s’accompagnera certes d’une destruction de capital et d’emplois. Cependant, les investissements favoriseront la compétitivité de nouveaux secteurs d’activité plus durables et provoqueront, à terme, un rééquilibrage voire (sous réserve d’une politique parallèle de formation et de requalification des salariés) une croissance de l’emploi dans ces secteurs.
Par ailleurs, les objectifs de transition environnementale aux niveaux national et européen ne pourront être atteints que par l’identification de solutions à des échelles locales et décentralisées. Les territoires ont donc un rôle important à jouer dans la décarbonation de la croissance et, plus largement, la lutte contre le dérèglement climatique. Le secteur de la construction, notamment, devra à l’avenir utiliser des matières premières plus durables afin de favoriser la transition énergétique des logements. Il en est de même pour le secteur industriel en ce qui concerne la rénovation thermique des bâtiments, et pour les secteurs du commerce et des transports (aérien et maritime) quant à la réduction des émissions de CO2. Le rôle de l’innovation passera également par l’émergence de travaux de recherche interdisciplinaires entre économie et écologie, afin de minimiser les impacts d’une urbanisation galopante sur les réseaux écologiques. À cet égard, le recours à des indicateurs mesurant les impacts de l’étalement urbain sur la biodiversité, ainsi que le renforcement des dispositifs de trames vertes et bleues, semblent constituer des défis particulièrement prégnants pour les prochaines années.
L’augmentation de la taxe carbone ne peut donc pas être considérée comme un remède universel au service de la transition écologique et énergétique, sous peine de conflits sociaux durables. Les solutions potentielles résident davantage dans la prise en compte des besoins des populations, de sorte que la décarbonation de l’économie ne sera permise que par des efforts collectifs de la part des ménages et des entreprises. Dans ce cadre, plus qu’une contrainte, cette transition peut devenir une véritable opportunité. Les théories de la croissance verte et de l’économie symbiotique (portée par Isabelle Delannoy) proposent ainsi des innovations radicales à travers le développement d’un nouveau système économique reposant sur des modes de production qui n’épuisent pas les ressources naturelles mais qui, au contraire, les régénèrent. Dès lors, une approche systémique tenant compte de l’ensemble des acteurs semble aujourd’hui nécessaire.