Journées de l’Économie 2021, par Richard Cupillard

Richard Cupillard revient sur sa participation au Journées de l’Économie 2021 : “Faire des utopies une opportunité”, à Lyon du 3 au 5 novembre 2021.

Le Laboratoire d’Économie de Dijon m’a donné l’opportunité d’intégrer la délégation étudiante qu’il a constituée dans le cadre de son offre d’activité doctorale. C’est ainsi que j’ai eu l’occasion de faire partie des quelques 50 000 personnes ayant assisté à la quatorzième édition des « Journées de l’Économie » (JECO, http://www.journeeseconomie.org/index.php), organisées par la « Fondation Pour l’Université de Lyon » (FPUL, http://www.journeeseconomie.org/index.php?arc=j1) du 3 au 5 novembre dernier. Les soixante conférences proposées cette année autour de la thématique « Faire des utopies une opportunité » ont su attirer un public diversifié, des profanes curieux de se familiariser avec la science économique aux professionnels de l’enseignement et de la recherche, en passant par les étudiant(e)s et doctorant(e)s aspirant à le devenir et qui ont pu bénéficier, comme chaque année depuis 2018, du « parcours JECO étudiants » (plus d’informations dans le blog d’Alper Acar). Pour ma part, il s’agissait surtout de faire de ces JECO une opportunité d’en savoir davantage quant aux enjeux de ma thèse en économie intitulée « Comment concilier économie des formes urbaines et biodiversité ? Apport de l’analyse en réseaux à l’aide à la décision territoriale », démarrée en octobre 2021 et pour laquelle je bénéficie d’une allocation du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Outre les sciences économiques, ce sujet s’inscrit dans un contexte interdisciplinaire en mobilisant des compétences en modèles de localisation optimale, en analyse des données, ainsi qu’en sciences écologiques et de l’environnement. De ce fait, il est préparé au sein de deux laboratoires sous la direction du Pr. Catherine Baumont (pour le Laboratoire d’Économie de Dijon) et du Pr. Emmanuel Fara (pour le laboratoire Biogéosciences).

                Ceci m’amène à partager dans ce blog deux réflexions suscitées par les conférences associées à cette thématique aux JECO, notamment « Encastrer l’économie dans l’écologie » (contenu et liste des intervenants à consulter sur http://www.journeeseconomie.org/index.php?arc=a6&num=814) et « L’environnement dans la pensée économique » (contenu et liste des intervenants à consulter sur http://www.journeeseconomie.org/index.php?arc=a6&num=800).

                Le doctorant que je suis désormais n’a pas oublié les définitions que tout étudiant de première année de Licence apprend à son entrée à l’université. La microéconomie est la science de l’allocation des ressources rares. À cet égard, la plupart des modèles théoriques étudient les mécanismes d’allocation du travail et du capital, mais négligent les ressources naturelles telles que le climat et la biodiversité. Ceci n’est autre que le symptôme d’une science économique peinant à se réinventer autour des questionnements actuels. Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi la science économique, à elle seule, ne saurait répondre pleinement au défi écologique. Tout d’abord, Martin Weitzman affirmait déjà, à l’aube de la prise de conscience environnementale, qu’il était dangereux, voire impossible, de mener une analyse économique de type coûts-bénéfices en matière de climat. Ensuite, les problématiques environnementales sont soumises à des défaillances de marché (externalités, problème de passager clandestin, myopie des agents…) impliquant de relâcher un certain nombre d’hypothèses nécessaires à la validité des modèles d’équilibre général traditionnellement utilisés. Enfin, l’économie, que Nicholas Georgescu-Roegen considérait comme « une mécanique de l’intérêt et de l’utilité » où les ajustements ne s’effectuent que par des mouvements de prix, peut éprouver des difficultés à affecter une valeur au climat ou à la biodiversité « mobile, invisible et silencieuse » telle que définie dans le récent rapport Dasgupta (2021). Pour autant, les questions que nous nous posons aujourd’hui font appel à notre capacité à anticiper le futur. Le changement global ne peut plus désormais être considéré comme de lointaines inquiétudes, mais comme un véritable problème de court terme. Nous devons réaliser des arbitrages dès à présent et, à cet égard, la science économique peut nous être d’une aide cruciale, pourvu qu’elle s’ouvre à des modèles alternatifs et à davantage d’interdisciplinarité.

                Il s’agit là de l’une des raisons ayant motivé le jeune chercheur que j’aspire à devenir à travailler sur un sujet permettant de contribuer à relever un réel défi : celui d’améliorer les interactions entre, d’une part, les sciences humaines et sociales et, d’autre part, les sciences écologiques et de l’environnement.

                En adoptant une approche relevant de l’histoire de la pensée, on peut observer que la place des ressources naturelles dans les rapports entre économie et environnement a considérablement évolué au fil du temps. Tantôt généreuse chez les physiocrates (Quesnay, Turgot…), tantôt parcimonieuse chez les classiques (Smith, Malthus, Ricardo…), voire totalement écartée chez les marginalistes (Menger, Walras, Wicksteed…), la nature a longtemps été oubliée dans la théorie économique, tout comme Jacques-François Thisse soulignera bien plus tard « l’oubli de l’espace dans la pensée économique ». Plus qu’un oubli, il s’agirait même d’un relatif mépris des économistes de l’époque à l’égard des ressources naturelles, résumé par Jean-Baptiste Say : « les richesses sont inépuisables, car sans cela nous ne les obtiendrions pas gratuitement ». Un mépris qui ne doit toutefois pas faire oublier les travaux d’un certain nombre d’auteurs qui s’inscrivent davantage dans une histoire alternative des rapports entre économie et environnement. Dès la fin du XVIIIème siècle, les Naturphilosophen (Goethe, Humboldt…) et les réformateurs sociaux (Leroux, Chadwick…) théorisaient les prémices de ce que nous appelons aujourd’hui les services écosystémiques, rejoints au début du XXème siècle par les land economists (Ely, Shine, Wehrwein…) qui considéraient que « quelle que soit la validité générale de la théorie de la main invisible, ce principe est caduc pour ce qui est de l’usage raisonné des ressources naturelles ». Pourtant, de façon assez surprenante, les auteurs hétérodoxes ne semblent pas avoir eu le monopole des avancements de la science économique en matière environnementale. Robert Solow, économiste de la croissance récompensé par le Prix Nobel d’Économie en 1987, peut dans une certaine mesure être considéré comme l’un des premiers auteurs à avoir identifié les ressources de l’économie pour plus tard donner naissance à l’économie des ressources. C’est en effet de son opposition au rapport Meadows (1972) que naîtra en 1992, à l’occasion du Sommet de la Terre à Rio, le concept conciliateur de développement durable, axé autour de trois piliers (économique, social et environnemental) aujourd’hui encastrés (au sens de Karl Polanyi) dans l’économie du donut proposée par Kate Raworth. Il s’agit d’atteindre des objectifs de développement économique tout en respectant des contraintes d’ordres social (les droits humains et les besoins essentiels de chacun) et environnemental (les limites physiques de la planète). Par ailleurs, l’œuvre de Solow, qui voit le système de prix comme une institution sociale permettant d’envoyer des signaux sur les raretés relatives des ressources et d’orienter les décisions rationnelles des agents, trouve encore aujourd’hui son écho dans les débats autour de la notion de capital naturel développée par David Pearce (la Bank of Natural Capital elle-même estimant qu’il est « impossible de gérer ce que l’on ne sait pas mesurer »).

                Assister à ces conférences m’aura dès lors offert la possibilité de mieux comprendre le positionnement de mon sujet de thèse, et de me conforter dans l’idée qu’il relève davantage de l’économie écologique (définie comme un champ interdisciplinaire ambitionnant d’intégrer la question environnementale dans l’action publique) que de l’économie de l’environnement au sens strict.

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